Le mystère de l’inhabitation trinitaire recèle une véritable difficulté dès lors qu’on veut rendre compte de l’union entre Dieu et l’âme, union que rend possible le don de la grâce. Les disciples de saint Thomas ont été sensibles à la tension qui existe entre deux domaines impliqués ici : « l’ontologique » dans l’ordre de l’exitus, le « psychologique » dans l’ordre du reditus. En réalité, il importe de percevoir l’inclusion mutuelle qui caractérise la présence d’inhabitation : cette présence de Dieu par la grâce ne se fait pas « en dehors », ni sans lien à l’esse in de Dieu qui découle de sa causalité créatrice. L’analyse métaphysique de la notion de « présence » décrite comme une actuation ordonnée éclaire de son côté cette union de l’âme à Dieu.
Cet article présente la phase ultime d’un travail à la fois historique et doctrinal consacré à la recherche du fondement de l’inhabitation trinitaire, contemplée sous l’angle de sa réalité : comment, et plus précisément sous quel mode, Dieu tel qu’il est, un et trine, est-il vraiment présent dans chaque chrétien, et comment s’unit-il à lui ? Il s’agit d’un débat théologique ancien, que l’on peut historiquement rattacher à l’âge de la scolastique baroque. Remis sur le devant de la scène par le P. Ambroise Gardeil, ces controverses, occasion d’un approfondissement réel, se sont poursuivies tout au long du xxe siècle. La dernière contribution d’importance, d’ailleurs récente, est celle d’un dominicain de la Province de France, le P. Camille de Belloy, dont les études constituent comme la trame de fond de notre propre réflexion. Nous nous plaçons donc résolument dans cette lignée, qui va de saint Thomas au P. de Belloy, en intégrant, non d’ailleurs sans nuances, les magistrales synthèses tant de Jean de Saint-Thomas que du P. Gardeil.
Après avoir rappelé le contexte et les principaux éléments de ce débat, nous proposerons une explication de l’union entre Dieu et l’âme qui résulte du don de la grâce. Nous verrons alors comment l’instrument métaphysique peut se mettre au service de l’effort théologique. Enfin,une série de remarques autour du thème de la « connaissance quasi expérimentale » de Dieu, rattachée par saint Thomas lui-même au don de la grâce sanctifiante, viendra préciser notre thèse.
Cet article constitue la première partie d’une étude dédiée à la vexata quaestio du désir naturel de voir Dieu, à laquelle l’auteur espère apporter une contribution originale. Pour aborder ce sujet difficile sans pétition de principe, il est nécessaire de dresser, dans un premier temps, l’inventaire des thèses apparemment opposées que saint Thomas semble formuler, à ce propos, tout au long de sa carrière. C’est pourquoi l’on développe ici six apories ou problemata dont l’exploration puis la solution sont indispensables pour traiter cette question de manière systématique.
Il est des problèmes philosophiques et théologiques qui traversent les siècles sans vieillir, parce qu’ils sollicitent nécessairement l’intérêt de l’esprit humain, au-dessus des engouements passagers. C’est ainsi qu’Aristote caractérisait déjà la question de l’être comme « l’éternel recherché et l’éternel problématisé ». Il en va de même du désir naturel de voir Dieu, thème qui n’a cessé d’être discuté depuis saint Thomas d’Aquin et souvent par rapport à lui, notamment dans les décennies qui précédèrent et suivirent le concile de Trente, puis et surtout au XXe siècle. Au début de notre XXIe siècle, la grande monographie historique et systématique de Lawrence Feingold, qui a fait l’objet de deux éditions et de nombreuses réactions, a fait rebondir cette question difficile entre toutes. Malgré l’immensité de la bibliographie sur ce sujet, nous voudrions à notre tour prendre part au débat, auquel nous pensons pouvoir apporter deux contributions. La première, de type méthodologique, est certainement modeste, car elle consiste seulement à esquisser un inventaire organique des principales apories que le corpus thomiste semble présenter à ce sujet, et qui sont à l’origine des divergences radicales qui opposent les interprètes de l’Aquinate. Notre seconde contribution, de type doctrinal, pourrait s’avérer plus novatrice, parce qu’elle s’appuie sur une caractéristique peu explorée du desiderium thomiste, qui nous semble éclairer en profondeur la nature et les implications du désir de la vision béatifique. Dans le cadre ainsi défini, nous articulerons notre propos en trois étapes : la problématique du désir naturel (1) ; une clef de solution inaperçue (2) ; notre proposition systématique (3).
La mystérieuse coexistence de la souffrance et de la joie dans l’âme humaine du Christ lors de sa Passion a retrouvé un regain d’attention théologique dans la cadre des nombreuses études qui fleurissent sur la christologie balthasarienne de la descente aux Enfers. La position thomasienne apparaît décalée, en retrait par rapport à certaines intuitions du théologien de Bâle. Sans entreprendre une comparaison, certainement utile et fructueuse, il est nécessaire de considérer la position thomasienne dans son cadre interprétatif et à l’intérieur du dispositif sotériologique dont il est un élément souvent négligé.
La question des passions de l’âme de Jésus suscite un regain d’intérêt dans les publications sur la christologie de saint Thomas. On sait aussi que notre docteur met avantageusement en œuvre dans la Somme de théologie ce qu’il a consciencieusement analysé dans ce qu’il est convenu d’appeler son traité des passions de l’âme. L’analyse thomasienne manifeste et accuse la différence d’avec les développements contemporains de la théologie balthasarienne, pour ne prendre que cet exemple. Il n’est pas inutile d’en comprendre les raisons et les fondements. Pour ce faire, il conviendrait de suivre de près la manière dont saint Thomas l’aborde dans son contexte scripturaire et patristique, ce que nous ne pouvons faire ici. Notons au passage que la pertinence de son exégèse théologique de l’agonie de Jésus nous renvoie aux fondements et aux principes de sa christologie dont elle est, en quelque sorte, la vérification herméneutique ; c’est aussi son intérêt.
Robert Spaemann, Chasser le naturel ?, Traduction [de l’allemand par] Stéphane Robilliard, Paris, Les Presses universitaires de l’IPC, 2015, 1 vol. de 208 p.
Cristina Cerami, Génération et sub stance, Aristote et Averroès entre physique et métaphysique, « Scientia Graeco-Arabica, 18 », Berlin, De Gruyter, 2015, 1 vol. de xiv-734 p.
The Metaphysics of Relations, Edited by Anna Marmodoro and David Yates, « Mind Association occasional series », New York (NY), Oxford University Press, 2016, 1 vol. de 282 p.
Aude Suramy, La Voie de l’amour, Une interprétation de Personne et acte de Karol Wojtyła, lecteur de Thomas d’Aquin, Préface de Livio Melina, Siena, Edizioni Cantagalli, 1 vol. de 708 p.
François Urvoy, La Racine de la liberté, « Ouverture philosophique », Paris, L’Harmattan, 2014, 1 vol. de 252 p.
L’Unité de l’expérience philosophique brosse une vision d’ensemble, la marche de l’esprit humain lui-même saisi dans l’unité de son rapport à la philosophie, à travers les diverses doctrines qui en parcourent l’histoire. Ce livre, sans équivalent français, paru en anglais en 1937, est l’un des témoins majeurs de l’œuvre philosophique de Gilson et pas seulement — supposée — historique. Sa remarquable traduction récente en relance l’intérêt pour le public francophone.
La traduction de la partie anglophone de l’œuvre de Gilson se poursuit, sous l’égide de l’abbaye de Fontgombault, avec le même éclat qu’un premier essai, Dieu et la philosophie. Le nouveau venu, publié en anglais en 1937, n’est donc ni inédit ni inconnu, mais sa diffusion francophone, même tardive, en relance l’intérêt. Fruit de l’enseignement de Gilson à l’Université Harvard, il en conserve, comme nombre de ses autres « lectures » (au sens anglais du terme), y compris de ses nombreuses séries tardives demeurées inédites, certaines caractéristiques. Parmi ces dernières, relevons : le caractère synthétique des exposés (très anglo-saxon, et la différence se fait sentir avec l’œuvre française de Gilson), le faible nombre de références (par ailleurs admirablement restituées dans leur texte original par le traducteur de la présente édition) et, plus que jamais, la liberté de jugement philosophique de l’auteur lui-même. Dans de pareilles leçons, Gilson apparaît moins corseté que dans l’Université française, aussi ombrageuse sur les jugements de vérité que sur la laïcité, hier comme aujourd’hui. C’est dire combien ce livre, malgré la profondeur de ses analyses, se montre des plus lisibles, pour public averti bien sûr, comme une sorte d’essai sur la philosophie et son esprit au fil de son histoire.
Cet article cherche à établir qu’il est possible de comprendre la question de l’existence de Dieu comme le résultat d’une enquête de philosophie scientifique au terme de laquelle Dieu est découvert comme cause ultime du mouvement et de l’être. Alors, de ce point de vue, l’athéisme apparaît soit comme une ignorance avouée — l’agnosticisme — soit comme une ignorance par erreur qui consiste à substituer à Dieu quelque chose d’autre que Dieu.
Si l’on regarde l’état présent de la philosophie de la religion, on constate une vive discussion entre ceux qui pensent, en suivant la tradition de Hume, que nous n’avons pas le droit de croire car nous ne possédons aucune évidence de l’existence de Dieu, et ceux qui soutiennent au contraire que nous avons ce droit de croire car il n’est pas nécessaire d’avoir une telle évidence pour être épistémologiquement respectable. Parmi ces derniers, certains, comme Swinburne, montrent que nous avons cependant de bonnes raisons de croire, et même que l’existence de Dieu est l’hypothèse hautement la plus probable. Tous ces philosophes font une référence commune à la croyance. Pour eux, la question de l’existence divine est une question de foi. La croyance, donnée ou non par une religion, serait la seule manière de savoir si Dieu existe ou non. La croyance devient même d’ailleurs la seule manière de connaître car même la connaissance sensible est aussi, selon Hume, une sorte de croyance. Le débat posé en ces termes sous-entend que Dieu n’est accessible que par la foi. Il sous-entend donc au fond une position théologique fidéiste et, philosophiquement, un scepticisme quant aux capacités métaphysiques de la raison. Il ratifie ainsi plus ou moins subrepticement la position humienne et kantienne, qui ont d’ailleurs des antécédents médiévaux.
Cet article soutient l’idée que le transhumanisme constitue un dépassement de la postmodernité. Pour cela, après une analyse des éléments les plus philosophiques de The Singularity is Near de Ray Kurzweil, un ouvrage pouvant être considéré comme l’un des principaux textes de référence du transhumanisme, l’A. en présente une double interprétation, l’une dans la perspective du concept moderne de nature en son élaboration originelle, l’autre dans
une perspective thomasienne qui met en lumière la naturalisation de l’art et la contradiction à laquelle conduit inéluctablement le transhumanisme. L’article établit ainsi les conditions de l’opposition art/nature chez Thomas d’Aquin, et contribue à un renouvellement de la lecture de sa philosophie de la nature déployée tout au long de son commentaire de la Physica d’Aristote, en définissant la nature et la fonction des propositions conditionnelles dont il y est fait usage.
La philosophe espagnole Rosa María Rodríguez Magda invite à prendre acte de la fin de la postmodernité :
« …quand la pensée se convertit en scolastique et en lieu commun, elle trahit l’élan critique qui met en lumière le surgissement des conceptualisations innovantes. Il serait donc temps de donner une importance non pas tant maintenant à la rupture que représente la postmodernité, mais à sa propre faillite, ce qui est en fait "la crise de la crise" ».
La postmodernité n’est pas un concept univoque, mais on sait qu’elle fut promue en philosophie par Jean-François Lyotard à la fin des années soixante-dix . Dans un rapport destiné au gouvernement du Québec, le philosophe de Vincennes estimait que le savoir avait changé de statut en raison du développement technologique, et en particulier de l’informatique. L’ordinateur allait favoriser les messages « riches en informations et faciles à décoder », au détriment de savoirs moins transparents, plus obscurs, plus difficiles à communiquer, comme les grands récits philosophiques qui légitimaient jusqu’à présent le discours scientifique. Mais surtout, depuis les années cinquante, le développement technologique avait fini par favoriser la marchandisation du savoir. « Le problème est alors posé, écrivait-il : les appareils qui optimisent les performances du corps humain en vue d’administrer la preuve exigent un supplément de dépense. Donc pas de preuve et pas de vérification des énoncés, et pas de vérité, sans argent. » Autant dire que l’enjeu du savoir ne devait plus être une manifestation de la vérité mais l’optimisation de la performance : « On n’achète pas des savants, des techniciens et des appareils pour savoir la vérité, mais pour accroître la puissance. » Et J.-F. Lyotard d’en conclure que toute croyance en une histoire universelle tendue vers un grand but allait définitivement s’éteindre : « Le grand récit a perdu sa crédibilité, quel que soit le mode d’unification qui lui est assigné : récit spéculatif [celui de Hegel en Allemagne], [ou] récit de l’émancipation [celui des philosophes des Lumières en France]. »
On dit et on écrit que Dieu ne punit ni en ce monde ni même dans l’autre. Dieu est amour et l’amour pardonne mais ni il ne corrige, ni ne sanctionne, ni ne châtie. S’il y a une justice rétributive, tout au plus récompensera-t-elle les mérites, si mérites il y a. Or la Bible, Ancien Testament et Nouveau Testament confondus, laisse entendre que Dieu se manifeste, d’abord en ce monde, par des actes de jugements sauveurs, mais aussi par des avertissements salutaires et de justes punitions. Dès ici-bas Dieu punit les méchants et les corrige pour leur bien et celui des autres. Cette étude propose de faire le point sur cette délicate question, le plus souvent récusée par prétérition. Sans prétendre apporter une explication définitive ou complète, il s’agit au moins de mettre au clair certains principes théologiques et de formuler au mieux une proposition recevable au regard de la foi et des esprits modernes si profondément étrangers
à l’idée même de juste punition.
Dieu ne veut ni le mal ni la mort du pécheur. Dieu veut le salut de tous les hommes, car il est bon et miséricordieux ; il veut faire de chaque homme un fils et le conduire à la béatitude céleste, tel est son éternel dessein. C’est pourquoi Dieu qui est Amour a noué une Alliance définitive avec l’humanité dans le Christ-Jésus. En lui, il a tout récapitulé pour se constituer un peuple nouveau, saint, l’Église. Dieu dans le Christ est notre rédempteur, celui qui nous sauve du péché et de la mort par sa mort et sa résurrection. Tout cela est certain, incontestable. C’est même l’essentiel du message évangélique.
Pourtant l’Écriture donne aussi à voir que ce même Dieu sauveur châtie, corrige, punit les coupables dans ce monde comme dans l’autre. Il y a là un problème théologique que notre conscience moderne rend plus sensible encore. L’idée d’un Dieu vengeur, punissant les endurcis, nous est étrangère, insupportable même ; pourtant les textes sont là et ils sont nombreux. Pour ne donner que quelques références dans le Nouveau Testament, citons : Mt 3, 10 ; 7, 19 ; 10, 14-15 ; 11, 23-24 ; 25, 41, 46 ; Jn 15, 6 ; 2 Th 1, 8-9. La figure du Dieu justicier qui récompense et punit est bien présente dans la Bible jusque dans la littérature psalmique : Ps 54, 7. Outre qu’il ne convient pas de passer par-dessus trop rapidement, ou de les interpréter de telle manière qu’ils perdent toute réalité, leur âpreté provocatrice doit, tout au contraire, inciter à rechercher plus profondément ce qu’ils disent de Dieu, et que nous n’osons pas considérer. Pour notre part, nous nous en tiendrons à quelques remarques inspirées par ces textes bibliques, et par la lecture des passages où saint Thomas aborde cette question. Il va sans dire que cette étude ne prétend pas en aborder tous les aspects. Notre réflexion se situe plutôt dans l’horizon d’une réflexion sur le mystère de Dieu et de ses attributs.
L’encyclique Laudato si’ du pape François marque un approfondissement de l’enseignement de l’Église sur l’écologie, dans la ligne de celui ébauché par Paul VI et développé par Jean-Paul II et Benoît XVI. Le caractère intégral de la préoccupation écologique, que l’on retrouve dans d’autres domaines de la doctrine politique et sociale de l’Église, témoigne de la nature anthropologique de celle-ci. Il invite à un nouvel exposé des fondements éthiques, singuliers et communautaires, de l’agir humain.
L ’enseignement social de l’Église se développe depuis la fin du xixe siècle à la façon d’un arbre qui étend ses ramifications. Des branches nouvelles apparaissent au long des décennies, se développant en lien avec les autres, mais devenant elles-mêmes des domaines spécifiques portant chacun sur une dimension de la vie humaine en société. Depuis le pontificat de Léon XIII, le magistère pontifical s’attache ainsi à traiter de thèmes qui évoluent au rythme des transformations des sociétés humaines, mais avec le souci d’avancer des principes pérennes qui, valant pour toute époque, permettent, si l’on y prête attention, de guider l’évolution de ces sociétés.
Parmi les grands domaines abordés, le premier est celui du travail, à partir de Rerum novarum (1891), qui s’étend progressivement à la condition des hommes qui travaillent, aux organisations qui les réunissent, à la place du travail dans la vie humaine, etc. Le deuxième thème est celui des sociétés humaines, de leur organisation politique, de la coopération entre les États et de l’ordre international. Assez vite, en lien avec la situation économique et sociale du moment, se développent encore les réflexions sur l’organisation économique, le système économique libéral, ses vertus et ses dysfonctionnements. À partir des années soixante et de Populorum progressio (1967), le thème du développement, lié au précédent, s’impose comme un domaine à part entière, qui tend à embrasser le développement sous toutes ses formes : économique, mais aussi humaine, culturelle… C’est surtout à partir des années soixante-dix qu’apparaît le thème traité plus spécialement ici, celui de l’environnement et de l’écologie, qui est l’objet exclusif de l’encyclique Laudato si’ du pape François (2015). C’est dire que les domaines et l’enseignement ecclésial se multiplient, soulevant l’enjeu de l’unité et de la cohérence de ce vaste domaine magistériel.
Saint Thomas d’Aquin semble être le grand oublié des études sur le millénarisme. Sans doute est-ce parce que, dans l’histoire des doctrines, il se situe après le millénarisme patristique et avant le chiliasme moderne. Pourtant, le docteur angélique a étudié cette doctrine plus que ses pairs. L’analyse qu’il fait de cette aporie de l’eschatologie collective est un modèle de travail théologique. Pour en saisir toutes les harmonies, le présent article commence par replacer la question du millénarisme à la fois dans l’ensemble du donné révélé eschatologique et dans le contexte du xiiie siècle. Puis vient la présentation des textes de Thomas sur le millénarisme joachimite et le chiliasme patristique, avec un sommet spéculatif atteint sur la question du temps à la résurrection. Cette étude s’achève par une brève explicitation de la thèse thomasienne du millénium ecclésial, où l’Aquinate semble largement revisiter l’héritage augustinien. Autour du mystère de l’Incarnation, des ponts sont jetés vers une eschatologie que saint Thomas n’a pas connue, celle du royaume des justes de saint Irénée de Lyon.
d) Des pierres d’attente dans l’eschatologie thomasienne
Les pierres d’attente dans l’eschatologie de saint Thomas constituant une ouverture au chiliasme des Pères sont de deux sortes. Les premières concernent l’éternité définitive, au-delà de l’ultime transformation qu’entraînent la Parousie, la résurrection et le jugement. Les secondes ont trait à une certaine prise en compte, malgré les réticences observées ci-dessus, du temps à la résurrection.
Sur l’éternité après l’ultime transformation
Ce sont surtout les changements que provoquera la Parousie, résurrection et jugement, qui sont traités de manière assez spirituelle par saint Thomas. Passée cette dernière étape, le Docteur angélique semble adopter une position qui va davantage dans le sens « réaliste » des auteurs millénaristes primitifs. Cette nouvelle orientation concerne à la fois la « matière » de la chair et le « temps » dans l’éon futur.
Recensions de :
Alexander E. ELINSON, Looking Back at al-Andalus, The Poetics of Loss and Nostalgia in Medieval Arabic and Hebrew Literature, « Brill Studies in Middle Eastern Literatures, 34 », Leiden-Boston, Brill, 2015, 1 vol. de x-186 p.
Alan VERSKIN, Islamic Law and the Crisis of the Reconquista, The Debate on the Status of Muslim Communities in Christendom, «Studies in Islamic Law and Society, 39 », Leiden - Boston, Brill, 2015, 1 vol. de x-202 p.
Talal AL-AZEM, Rule-Formulation and Binding Precedent in the Madhhab-Law Tradition, Ibn Quṭlūbughā‘s Commentary on The Compendium of Qudūrī, «Middle East and Islamic Studies : Islamicate Intellectual History, 2», Leiden-Boston, Brill, 2016, 1 vol. de xvi-258 p.
Belkacem BENZENINE, Penser la laïcité dans les pays arabes, De la Renaissance arabe à nos jours, « Penser le temps présent », Paris, L’Harmattan, 2014, 1 vol. de 340 p.
Christian JAMBET, Le Gouvernement divin, Islam et conception politique du monde. Théologie de Mullā Ṣadrā, Paris, CNRS éditions, 2016, 1 vol. de 470 p.
Controverses sur les écritures canoniques de l’islam, Sous la direction de Daniel De Smet et Mohammad Ali Amir-Moezzi, « Islam-Nouvelles approches », Paris, Cerf, 2014, 1 vol. de 436 p.
Islam and Rationality, The Impact of al-Ghazâlî, Papers Collected on His 900th Anniversary, vol. 2, Edited by Frank Griffel, « Islamic Philosophy, Theology, and Science, 98 », Leiden-Boston, Brill, 2016, 1 vol. de xxx-344 p.
Jean-Pierre NAKHLÉ, Le Criticisme dans la pensée arabe, Essai sur le rationalisme dans l’œuvre de Sadiq Jalâl al-‘Azm, « Pensée religieuse et philosophique arabe », Paris, L’Harmattan, 2015, 1 vol. de 138 p.
Mehdi AZAIEZ, Le Contre-discours coranique, « Studies in the History and Culture of the Middle East, 30 », Berlin-Boston, Walter de Gruyter, 2015, 1 vol. de xviii-346 p.
Najib George AWAD, Orthodoxy in Arabic Terms, A Study of Theodore Abu Qurrah’s Theology in its Islamic Context, « Judaism, Christianity, and Islam – Tension, Transmission, Transformation, 3 », Boston-Berlin, Walter de Gruyter, 2015, 1 vol. de xiii-466 p.
Thomas WÜRTZ, Islamische Theologie im 14. Jahrhundert, Auferstehungslehre, Handlungstheorie und Schöpfungsvors-tellungen im Werk von Sa‘d ad-Dīn at-Taftāzānī, « Welten des Islams, 7 », Berlin-Boston, Walter de Gruyter, 2016, 1 vol. de viii-296 p.
iAverroès : le philosophe et la Loi, Édition, traduction et commentaire de l’Abrégé du Mustaṣfā par Ziad Bou Akl, « Scientia Graeco-Arabica, 14 », Boston-Berlin-Munich, Walter de Gruyter, 2015, 1 vol. de x-502 p.
Religious Conflict from Early Christianity to the Rise of Islam, Edited by Wendy Mayer and Bronwen Neil, «Arbeiten zur Kirchengeschichte, 121 », Berlin-Boston, Walter De Gruyter, 2013, 1 vol. de xii-256 p.
Emmanuel PISANI, Le Dialogue islamo-chrétien à l’épreuve, Père Anawati, o.p. – Dr Baraka. Une controverse au vingtième siècle, « Religions et Spiritualités », Paris, L’Harmattan, 2014, 1 vol. de 214 p.
Nous inaugurons un bulletin de théologie sacramentaire dont les premières livraisons seront consacrées au mariage, à l’occasion du récent synode sur la famille. Trois ouvrages fondamentaux sont ici analysés en détail : le traité du mariage de Jean-Philippe Revel (2012), la thèse d’Hélène Bricout sur le ministre du sacrement du mariage (2015) et l’essai du cardinal Marc Ouellet sur le mariage comme sacrement primordial, clef de lecture de l’ensemble de la sacramentaire et du mystère chrétien (2014). Les deux premiers se complètent admirablement dans leur tentative de réhabiliter la thèse de Melchior Cano sur le prêtre comme ministre ordinaire du mariage et de battre en brèche la position inverse de Bellarmin devenue opinion commune selon laquelle ce sont les époux qui en sont eux-mêmes les ministres. Le troisième, qui s’en tient sur ce point à la doctrine commune, rejoint les deux autres quant à la nécessité de repenser ce sacrement à nouveaux frais afin de dépasser le cadre étroit qui lui a été longtemps assigné et lui faire produire de nouveaux fruits pour notre temps.
Les deux dernières assemblées du synode des évêques sur la famille ont suscité de nombreuses publications sur le mariage et sur la question délicate des divorcés remariés, dont un certain nombre mérite d’être signalé du point de vue de la théologie sacramentaire. C’est aussi l’occasion de présenter quelques ouvrages plus anciens mais d’importance sur le sujet, à commencer par celui du frère Jean-Philippe Revel, qui s’inscrit dans l’entreprise plus vaste d’une véritable somme théologique sur les sacrements et qui fera lui aussi référence. Nous avons déjà présenté dans un précédent bulletin les volumes sur le baptême et les sacrements en général (I/1 et 2, 2004-2005), la confirmation (II, 2006) et l’onction des malades (VI, 2009) 3 . Il nous restera pour un prochain bulletin celui sur la pénitence (V, 2014), publié à titre posthume. Les volumes prévus sur l’eucharistie (III) et sur l’ordre (IV) manqueront définitivement. — Ce septième volume s’organise en sept chapitres regroupés en deux parties inégales. La première partie présente le sacrement du mariage en général : 1. La révélation du mystère du mariage dans l’Écriture ; 2. La grâce sacramentelle (res tantum). La seconde partie examine quelques questions spéciales : 1. L’histoire du rite liturgique (signum tantum) ; 2. La détermination du rite essentiel et du ministre ; 3. Le lien matrimonial (res et sacramentum) ; 4. Les fins du mariage ; 5. La situation respective du mariage et de la virginité. — Le genre est celui d’un traité de théologie, ce qui n’exclut pas des considérations pastorales fondées sur une longue expérience en paroisse. L’A. veut faire œuvre de tradition en renvoyant avant tout aux sources, aux grands auteurs et au magistère même récent plutôt qu’aux dernières études en date, contrairement aux usages académiques actuels. On retrouve de ce point de vue les qualités pédagogiques et scientifiques remarquables des ouvrages précédents, avec une même attention aux sources scripturaires, patristiques et liturgiques ; un excellent exposé des principaux débats doctrinaux scolastiques ou contemporains, parfaitement informé de la position de saint Thomas d’Aquin sans pour autant le suivre toujours à la lettre, prenant clairement position tout en laissant place à l’argumentation contraire. Seule la section sur le divorce empêche de recommander ce traité de manière inconditionnelle.