Ars imitatur naturam : Réception et interprétation thomasiennes de l’adage

David Perrin o.p.
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2022 - Tome CXXII 2022 - Fascicule n°2
122
CXXII
Juin 2022
2
2022
179 - 210
Article

Résumé

C’est à la réception et à l’interprétation de l’adage aristotélicien « ars imitatur naturam » (Physique, II, 2, 194 a 20-25) que cette étude est consacrée. Saint Thomas affirme, comme Aristote, que l’art imite la nature mais sa manière de comprendre la raison de cette imitation ou de cette ressemblance n’est pas exactement celle du Philosophe car c’est, pour lui, une seule et même Intelligence divine qui est au principe des naturalia et des artificialia : 1) des naturalia car celles-ci ont été formées à partir des idées divines, 2) des artificialia car l’intelligence humaine qui les produit est une certaine participation de l’intelligence divine. Comme Aristote, saint Thomas soutient que l’art accomplit ce que la nature ne peut pas faire mais les nombreuses manières d’entendre cet accomplissement le mènent également plus loin que son maître. Saint Thomas envisage l’art comme un accomplissement par l’homme de sa propre nature, une suppléance possible aux défauts de la nature et une aide apportée à la nature dans certains cas pour réaliser ses propres fins. Quand saint Thomas, enfin, soutient que la nature est l’œuvre de l’art de Dieu, et par appropriation, l’œuvre du Verbe, « l’art du Père », la doctrine de l’imitation de la nature par l’art humain devient, indirectement, une imitation de l’art divin à l’œuvre de la nature. La théologie trinitaire de la Création vient bouleverser l’interprétation de l’adage et lui donner une portée qu’Aristote n’avait fait qu’entrevoir. L’équilibre que saint Thomas tient entre une doctrine totalement exemplariste, comme celle de Platon, et une doctrine de la créativité, comme celle de Nicolas de Cues, lui donne de penser, pour de bon, l’inventivité artistique et la production de formes neuves, sans faire pour autant de l’activité artistique une activité créatrice.

Extrait

À trois reprises, dans son œuvre, Aristote affirme, à la suite vraisemblablement des médecins hippocratiques, que « l’art imite la nature (ἡ τέχνη μιμεῖται τὴν φύσιν) ». Une première fois, dans la Physique, à propos du sujet de la physique, une deuxième fois, dans ce même livre, à propos de la finalité dans la nature, une troisième fois, dans les Météorologiques, à propos de la coction artificielle. Dans le deuxième passage, de loin le plus important, Aristote développe et dédouble la formule initiale : « D’une manière générale, l’art, dans certains cas, parachève (ἐπιτελεῖ) ce que la nature n’a pas la puissance d’accomplir, dans d’autres cas il imite . » Le Stagirite ne se contente pas d’établir ici une analogie entre l’art et la nature. Il affirme que l’art opère comme la nature de sorte que « si une maison était au nombre des choses produites par nature, elle serait produite de la même façon qu’elle est effectivement par l’art ». L’art opère à tel point comme la nature que celle-ci réaliserait, si elle le pouvait, de la même façon que lui, les objets qu’il produit. À l’inverse, si l’art devait produire des choses que la nature fait déjà, il agirait exactement comme elle : « Si, par contre, les choses naturelles étaient produites non seulement par nature mais pouvaient aussi être produites par un art, elles seraient produites de la même manière qu’elles sont naturellement. »