La formation de saint Thomas d'Aquin

Emmanuel Perrier

Saint Thomas d’Aquin commença ses études lorsqu’il fut confié par son père à l’abbaye du Mont-Cassin vers l’âge de 5 ou 6 ans. Il les acheva lorsque le Maître de l’ordre dominicain, Jean le Teutonique, le désigna pour enseigner à Paris. Il avait alors 25 ou 26 ans. Ces vingt années d’apprentissage sont un témoignage du très haut niveau auquel les institutions éducatives étaient capables de mener un enfant du XIIIe siècle, il est vrai exceptionnellement doué. Thomas a successivement fréquenté une école monastique, un studium generale (équivalent du lycée), une université et un centre d’étude dominicain. Il a connu le cadre régulier et clos de l’abbaye bénédictine proche d’Aquino, la camaraderie entre élèves d’une capitale régionale, Naples, la vie studieuse et parfois chahuteuse des étudiants à l’université de Paris, venus de toutes les nations européennes, enfin les années de fondation d’un centre formant des frères des pays du Nord, à Cologne. De Naples à Cologne en passant par Paris, il lui fallut composer avec la diversité des lieux, des accents et des tempéraments, en même temps qu’avec la variété des matières apprises, des livres lus, des professeurs à écouter, des méthodes de travail et d’argumentation. Doué d’une mémoire impressionnante, Thomas d’Aquin fut ainsi imbibé de la culture occidentale de son époque, avec une dominante urbaine, de langue latine, d’état clérical et de vie mendiante.

Les huit années passées comme oblat à l’abbaye du Mont-Cassin le formèrent aux rudiments de la vie religieuse, morale et intellectuelle. Le régime était monastique avec des aménagements. La régularité des offices au chœur, des temps d’étude en classe ou au scriptorium, des repas au réfectoire, des travaux pour le monastère, des nuits au dortoir, la communauté d’hommes de toutes les générations, l’obéissance à la règle et au supérieur, l’écoute du maître, l’accès à la bibliothèque, façonnèrent le regard de l’enfant, ses habitudes, ses manières, ses goûts. On peut surtout penser qu’il retira de ce terreau de traditions multiséculaire une formation de l’homme intérieur, un sens aigu du rôle des vertus pour affermir l’âme, la sensibilité au mouvement des passions et à ce qui conduit au péché, une mémorisation intensive de l’Écriture Sainte, un attachement indéfectible à la recherche de Dieu par la sagesse et la vérité, une tendresse pour les créatures dans ce qui fait leur dignité. Tous ces traits irriguent son œuvre.

À l’automne 1239, âgé de 13 ou 14 ans, Thomas commença le cycle des arts et de la philosophie à Naples, dans l’effervescence culturelle apportée par les traductions récentes de la science aristotélicienne, de l’astronomie arabe et de la médecine grecque. Il se familiarisa donc très tôt avec la philosophie naturelle et la métaphysique d’Aristote, complétées par les commentaires d’Averroès. S’il n’apprit pas le grec ni l’hébreu, il conserva une attention aux variations du sens des mots, un intérêt pour les nouvelles traductions, et un souci d’accéder aux sources.

Après une année de césure forcée, il rejoignit Paris en 1245, comme frère de l’Ordre des prêcheurs, pour compléter sa philosophie et commencer la théologie. Outre l’assistance aux commentaires de l’Écriture Sainte et des Sentences de Pierre Lombard (le manuel de tout étudiant en théologie), il participa aux questions disputées et aux séances académiques. Son grand maître fut alors Albert le Grand, lui aussi dominicain, génie encyclopédique qui reconduisait toutes les sciences à l’unité de la Lumière divine. Thomas en devint l’assistant et le suivit à Cologne. C’est avec quelques années d’avance qu’il fut admis aux grades de Bachelier puis de Maître.

fr. Emmanuel Perrier, op.

 

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